L'apparition de l'oiseau Benou dans le ciel d'Egypte est source de joie et de grande espérance, car ce modeste héron cendré est en réalité un animal sacré associé au culte solaire et adoré à Héliopolis, la "cité du Soleil". Les Grecs, fascinés par cette tradition égyptienne, s'en inspireront pour élaborer la légende du phénix, un oiseau merveilleux qui se consume dans les flammes pour renaître miraculeusement de ses cendres.
Ni les Egyptiens ni les Grecs de l'Antiquité n'ont un jour douté de l'existence de cet oiseau pourtant légendaire appelé Benou par les uns, Phénix par les autres. Cet animal mythique est porteur de l'espérance ultime, celle d'une renaissance après la mort, à l'image du soleil qui réapparaît chaque jour immanquablement après avoir sombré dans les ténèbres de la nuit.
Il plane au-dessus de la vallée du Nil inondée.
Chaque année, une scène identique se reproduit aux abords du fleuve nourricier : lorsque le Nil est enfin sorti de son lit et que ses eaux généreuses gorgent la vallée pour redonner vie à la végétation desséchée, un oiseau magnifique apparaît soudain au ras de l'eau scintillante.
Il vole, les ailes largement déployées, les pattes tendues vers l'arrière. Son plumage gris s'éclaire du blanc immaculée de son ventre, et sa tête est ornée d'une double aigrette d'un noir profond. Cet animal - que les ornithologues identifieraient aujourd'hui au héron cendré - est aux yeux des Egyptiens des premiers temps "Bénou", l'oiseau qui apporte la joie et l'espérance.
Chaque matin, Bnou semble surgir des eaux.
D'après la légende , c'est un oiseau originaire d'Ethiopie qui revient chaque année survoler les terres d'Egypte et qui se caractérise par une remarquable longévité. Aux premières heures du matin, Benou émerge de la lueur mordorée de l'aurore. Il vole si bas qu'il semble surgir des eaux, comme l'astre solaire jaillit à l'horizon lorsque, enfin, il échappe à l'univers ténébreux de la nuit. C'est pourquoi Benou est associé au culte solaire et devient bientôt le symbole de la renaissance matinale du soleil.
A Héliopolis, on lui voue un culte important aux côtés de Rê, le dieu solaire identifié à Atoum, la divinité fondatrice de la ville. D'après la cosmogonie d'Héliopolis, la "Cité du Soleil", l'astre divin se serait levé au "Jour de la Première Fois" sous les traits de Benou. L'oiseau sacré se serait ensuite posé au sommet de la pierre Benben, tertre primitif - le premier morceau de terre de l'Univers - surgi du Noun, l'océan primordial. Benou est désormais l'image du soleil, et parfois même une forme secondaire du dieu Rê, divinité suprême.
La renaissance du phénix fascine les Grecs.
C'est en s'inspirant des croyances égyptiennes que les Grecs ont élaboré la légende d'un oiseau merveilleux qu'ils nomment le Phénix. N'ignorant rien de la relation qu'entretient Benou avec Rê, ils dotent leur créature fabuleuse d'une silhouette d'aigle qui n'est pas sans rappeler le dieu solaire souvent représenté sous les traits d'un homme à tête de faucon.
Hérodote, dès le Ve siècle av. J.-C., et Plutarque, au Ier siècle apr. J.-C., ont narré l'histoire du Phénix. Ce dernier, établi aux confins du désert arabique, est incapable de se reproduire pour la simple raison qu'il n'existe pas de femelle de son espèce. Pour compenser ce manque, il est doté d'une longévité exceptionnelle et peut ainsi vivre plusieurs siècles. Après quelque cinq cents ans de vie, il sent enfin la mort approcher. Il confectionne alors, avec des aromates et des herbes magiques, son propre bûcher que les derniers rayons du soleil couchant embrasent bientôt. L'oiseau se précipite dans les flammes qui le consument aussitôt, et de ses cendres renaît un nouveau Phénix. A tire-d'aile, celui-ci s'empresse de rallier le temple d'Héliopolis. Là, il ensevelit les cendres de son défunt père qu'il a transportées dans un oeuf de myrrhe.
Pour les Grecs anciens, le Phénix symbolise avant tout l'immortalité de l'âme ; cependant, le lie qu'entretient l'animal égyptien avec le soleil demeure : c'est en effet d'un oeuf - façonné par le Titan Cronos - qu'a surgi Phanès, le premier-né des dieux et créateur à l'origine de toute chose, comme Rê chez les Egyptiens. Toutefois, si, chez ces derniers, l'apparition de Benou est porteuse d'espoir, les Grecs ont fini par redouter l'approche du Phénix, annonciatrice d'évènements dramatiques.
Benou est adoré en sa qualité "d'âme d'Osiris".
Animal sacré, l'oiseau Benou entretient un rapport si étroit avec les idées de mort et de renaissance qu'il ne pouvait qu'être également associé à Osiris, le maître de l'Au-delà, dieu des Morts ressuscité grâce à la dévotion de son épouse et soeur Isis.
A Héliopolis, c'est donc aussi en qualité "d'âme d'Osiris" que Benou est adoré pendant des siècles. Tout relie l'oiseau merveilleux et le souverain des premiers temps, et ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les Egyptiens utilisent un oiseau pour figurer l'âme des défunts. En outre, à l'image d'Osiris qui préside chaque année à la renaissance de la flore en sa qualité de dieu de la Végétation et de la Fertilité, le Phénix des Grecs renaît de ses cendres tandis que Benou l'Egyptien, apparaissant à l'époque de l'inondation, symbolise le nouvel éveil à la vie de la nature.
Source : Mythologie, éditions Atlas, 2003.