
Dès le premier regard, on comprend qu'il ne s'agit pas d'un reptile comme les autres : à ses oreilles tintent des anneaux d'or et ses pattes sont ornées de bracelets de métaux précieux... Qui est ce crocodile que les prêtres nourrissent de viande, de gâteaux et de miel ? Il se nomme Petesoukhos et est vénéré dans toute l'Egypte car il personnifie ici-bas le dieu Sobek, une divinité ambiguë que l'on adore et que l'on redoute...
Petesoukhos signifie "celui qui appartient à Soukhos". Le crocodile qui porte ce nom symbolise l'incarnation terrestre du dieu crocodilocéphale Soukhos, ou Sobek. Divinité méconnue, Sobek est pourtant considéré par les habitants de la région fertile du Fayoum comme le démiurge qui a ordonné le monde : il est le dieu suprême, celui dont on ne doit sous aucun prétexte attiser la colère...
Où l'oracle se révèle un fin gastronome.
La capitale de la région du Fayoum, vaste oasis saharienne de Moyenne Egypte, est appelée Shedet par les Egyptiens. Cette ville que les Grecs baptiseront Crocodilopolis puis Arsinoé doit son extraordinaire fertilité au lac gigantesque - véritable mer intérieure - creusé à proximité du grand temple. Car cette cité est avant tout un sanctuaire où l'on vient de l'Egypte entière pour adorer le maître des lieux... qui n'est autre qu'un vieux crocodile.
Il est là, somnolant sur la rive. Paré comme une idole, Petesoukhos arbore de lourds anneaux d'or à ses oreilles. Sur ces pattes avant ont été rivés des bracelets de valeur. Autour de lui se pressent des visiteurs venus lui demander un conseil, implorer sa clémence ou simplement lui rendre hommage. Ils ont apporté à l'alligator sacré des mets délicats qu'ils confient à deux prêtres. Le premier s'approche de Petesoukhos et lui tient délicatement la mâchoire ouverte, tandis que le second y dépose du pain, de la viande, des gâteaux, du miel, du vin... Ce festin n'est pas exceptionnel : il se reproduit plusieurs fois par jour, dès que de nouveaux pèlerins se présentent !
La divinité crocodilocéphale surgit des eaux ténébreuses.
Petasoukhos est vénéré parce qu'il suscite la crainte : les Egyptiens redoutent en effet ces crocodiles qui pullulent sur les bords du Nil et n'hésitent ni à croquer un baigneur isolé ni à décimer un troupeau égaré. Cependant, la double dimension dont peut s'enorgueillir l'animal sacré révèle toute son ambiguïté. En personnifiant le dieu Sobek, il transpose l'appétit insatiable de l'animal terrestre en la voracité d'un crocodile divinisé qui n'économise pas ses efforts pour anéantir, dans les mondes souterrains du chaos primitif où il évolue, tous les ennemis de Rê.
La seconde dimension de Sobek, plus gratifiante, est celle de démiurge. Selon les écrits traditionnels de la région du Fayoum, le dieu crocodile a surgi, au jour de la Création, des eaux ténébreuses de l'océan primordial pour ordonner le monde. Il apparaît ainsi comme un dieu suprême qu'il ne faut pas contrarier, puisque la colère des tout-puissants risque toujours de mettre en danger l'harmonie terrestre.
Les pharaons se placent sous la protection de Sobek.
Sobek, divinité souvent représentée comme un homme à tête de crocodile, est le fils de Neith, la déesse coiffée de la couronne rouge de la Basse Egypte que l'on dit également créatrice du monde. Elle raconte partout que son "garçon reptile" ne lui donne que des satisfactions et c'est pourquoi, à leur mort, les crocodiles sacrés méritent d'être embaumés.
Dans le pays, à Kom Ombo comme, naturellement, à Crocodilopolis du Fayoum, on consacre à Sobek une multitude de temples où sont entreposées ces momies animales. Et à la du Moyen Empire, plusieurs pharaons de la XIIIe dynastie remettent leur règne sous sa protection en prenant comme nom Sebekhotep, qui signifie "Sobek est satisfait".
Parce qu'il a émergé des eaux, Sobek est inéluctablement considéré comme un dieu aquatique et est en conséquence associé à l'idée de fertilité. Sa seule présence fait croître la végétation et certains prétendent que l'on peut entendre le crocodile rire aux éclats lorsque débute l'époque de l'inondation !
Source : Mythologie, éditions Atlas, 2003.